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lundi 21 mai 2018

Construire un principe d'hospitalité

Quelques-uns des signataires de l'appel de Saint-Malo.

On sait les acteurs de la littérature, auteurs, illustrateurs, éditeurs, libraires, engagés dans la cause des réfugiés. Hier, dimanche 20 mai, les auteurs, réalisateurs et artistes invités au 29e festival "Etonnants Voyageurs" de Saint-Malo ont rendue publique leur "Déclaration".

La voici.



Oser la fraternité.

En prolongement de cette déclaration, on lira si ce n'est déjà fait car le livre est sorti le 3 mai, l'ouvrage collectif "Osons la fraternité!" (Editions Philippe Rey, 320 pages), publié sous la direction de Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris avec le soutien du Festival Etonnants voyageurs. Trente écrivains y ont pris la plume pour se mettre aux côtés des migrants. Et ils versent leurs droits d'auteurs au Gisti (Groupe d'information et de soutien aux immigrés). Un acte artistique d'engagement qui montre leur volonté de contribuer à un monde plus altruiste.

Le livre commence par un texte de Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris rappelant la photo du petit Aylan, qui a donné lieu ici et là à l'"instant Aylan". Mais depuis? "Notre niveau de conscience individuée", écrivent-ils, "nous rend tous responsables. Nous savons. Nous voyons. Nous entendons. Nous lisons. Nous constatons. Nous sommes comptables autant de ce que nous faisons que de ce que nous ne faisons pas."  Ils poursuivent en pointant le "déshumain" qui s'ajoute aujourd'hui au dialogue entre l'humain et l'inhumain.

Les trente écrivains à oser la fraternité sont: Kaouther Adimi, Tahar Ben Jelloun, Pascal Blanchard, Patrick Boucheron, Patrick Chamoiseau, Velibor Čolić, Céline Curiol, Mireille Delmas-Marty, Ananda Devi, Laurent Gaudé, Raphaël Glucksmann, Christelle Labourgade, Lola Lafon, Michel Le Bris, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Claudio Magris, Léonora Miano, Maya Mihindou, Anna Moï, Gisèle Pineau, Jean Rouaud, Lydie Salvayre, Elias Sanbar, Boualem Sansal, Felwine Sarr, Christiane Taubira, Sami Tchak, Chantal Thomas et Gary Victor.

Leurs contributions suivent l'ordre alphabétique de leurs noms dans l'ouvrage. Ce placement où alternent textes de plusieurs pages et d'une demi, comme celle de Jean Rouaud, crée toutefois une dynamique intéressante où sont successivement mis en lumière divers aspects de la condition de migrant. La force de la littérature en plus.
"Seigneur dites seulement une parole
Et le peuple qui marche sur l'eau
aura la terre ferme sous ses pieds
Un toit pour ne pas mêler ses larmes aux vagues
Et une table d’hôte à l’enseigne de notre
Inhumaine humanité"
Jean Rouaud in "Osons la fraternité"

Bien sûr, on réagira davantage à l'un ou l'autre texte selon sa sensibilité prorpre mais l'ensemble est formidable. En espérant qu'il secoue un peu le cocotier de l'indifférence suffisante de nos pays riches.

Quelques exemples. Kaouther Adimi nous scotche avec son texte de refus du statut de réfugiée à une femme algérienne - en plus, il vient en première position. Tahar Ben Jelloun s'amuse en organisant la fuite des mots étrangers du dictionnaire de la langue française - comment faire sans eux? Pascal Blanchard rappelle les différentes expulsions d'émigrés aux Etats-Unis. Patrick Boucheron reprend son allocution au programme PAUSE (Programme d'aide en urgence des scientifiques en exil). Patrick Chamoiseau évoque les gouffres, Lampedusa et autres. Velibor Čolić, réfugié lui-même, traite d'exils et d'exilé(e)s. Ananda Devi raconte une fabuleuse naissance. Laurent Gaudé pose des mots de poésie sur des peintures de Christelle Labourgade. Raphaël Glucksmann nous partage son Calais. Lola Lafon aborde la question de l'adaptation. J.-M. G. Le Clézio donne le texte qu'il avait prononcé sur France Inter un matin d'octobre 2017 (lire ici). Claude Magris et Léonora Miano nous entraînent dans le futur. Achille Mbembe rappelle l'humanité des migrants. Anna Moï évoque le Vietnam et ses guerres grâce à un bol de "pho". Gisèle Pineau dénonce l'esclavage sexuel enduré par les migrants à travers une jeune Haïtienne. Lydie Salvayre évoque les deux vies de sa mère, en Espagne et en France. Elias Sanbar rappelle le destin de deux frères, réfugiés palestiniens. Boualem Sansal parle d'Akli, cet idiot devenu combattant radicalisé. Felwine Sarr suit le chemin d'un migrant sénégalais. Christiane Taubira celui de Nzuri Mwezi et Açaï, "amies d'euphorie". Sami Tchak celui de Mawalou, homme à deux figures. Chantal Thomas témoigne du sort des migrants à Paris. Gary Victor cogne fort aussi avec son Haïtien dont les fils rêvaient du Chili.

L'ouvrage s'achève sur une "Déclaration des poètes" rédigée par Patrick Chamoiseau, un "Manifeste pour une mondialité apaisée" par Mireille Delmas-Marty et des dessins de Maya Mihindou composant "La marche des géants".

"Osons la fraternité!" nous fait sortir de notre zone de confort et crée l'espoir car nous sommes plus nombreux qu'on croit à vouloir rendre leur humanité et leur dignité aux migrants et demandeurs d'asile.


Les prix littéraires remis à Saint-Malo durant le festival

  • Prix Ouest-France Etonnants Voyageurs: Ananda Devi pour "Manger l'autre" (Grasset)
  • Prix Littérature-Monde: Mohamed Mbougar Sarr pour "Silence du chœur" (Présence Africaine) et Einar Mar Gudmundsson pour "Les Rois d'Islande" (traduit de l’islandais par Éric Boury, Zulma)
  • Prix Joseph Kessel de la SCAM: Marc Dugain pour "Ils vont tuer Robert Kennedy" (Gallimard)
  • Prix Robert Ganzo de poésie: Patrick Laupin pour l'ensemble de son œuvre poétique
  • Prix Nicolas Bouvier: Andrzej Stasiuk pour "L'Est" (traduit du polonais par Margot Carlier, Actes Sud)
  • Prix Gens de Mer: David Fauquemberg pour "Bluff" (Stock)
  • Prix de l'Imaginaire: Sabrina Calvo pour "Toxoplasma" (La Volte) pour le roman francophone et James Morrow pour "L'Arche de Darwin" (traduit de l'anglais par Sara Droke, Au Diable Vauvert) pour le roman étranger

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